J'ignore depuis combien de temps je suis allongée ici. Mes doigts parcourent inlassablement cette même fissure que Jakylla parcourait plus tôt dans la journée. Le contact de la pierre froide sous mon corps m'apaise. La lune, pâle et ronde, éclaire Chrysäe d'une lueur bienveillante.
-J'aurais du te prévenir.
Ma tête bascule sur le côté et mes yeux se posent sur le jeune homme. Son regard est triste, contrarié. Mais il s'efforce de me sourire.
-Ça m'est égal, soufflais-je.
-Désolé, me glisse-t-il en venant s'asseoir près de moi.
Sa main effleure ma joue, et je ne peux m'empêcher de frisonner. Ils vont tous aller se faire tuer.
-Tu es glacée, Yuuko. Tu devrais rentrer, Kaylina et Maofull doivent t'attendre.
Je marquais une légère pose, Kaylina était ma petite sœur, elle était débrouillarde et ne s'inquiéterait pas si je restais un peu ici, de plus il y avait notre grand-frère, Mao.
-J'ai envie de rester un peu ici.
Je ne bouge pas, je me sens bien, ici. Seuls mes doigts arrivent encore à remuer, ils vont et viennent le long de cette fente rocheuse. Ma main bute sur quelque chose de chaud, et je m'immobilise à son contact. Jakylla attrape mes doigts et les emprisonne dans les siens. Il les porte à sa bouche, et souffle pour me réchauffer. Je tente de retirer ma main, en vain.
-Arrête, soupire-t-il.
-Arrêter quoi ? Rétorquais-je.
Jakylla se met à rire, et je me joins à lui. « Ne pars pas », ai-je envie de lui dire, « tu vas mourir », « ne me laisse pas seule ici ». Je ris, les yeux humides, je ris tant la situation me semble surréaliste.
-Alors tu pars, hein ? Murmurais-je en fixant la cime des arbres.
-Demande-moi de rester... souffle-t-il.
-Tu ne le ferais pas.
-Non, dit-il un sourire aux lèvres. Tu ne me le demanderas pas, je suppose ?
-Non, je n'en vois pas l'intérêt. Je n'y avais même pas songé, d'ailleurs. Pas une seconde.
-Menteuse.
Je soupire. Cette conversation me semble tout sauf naturelle. Que cherche-t-il à faire ?
-Demande-moi de venir, finis-je par dire.
Son regard se voile, il scrute le miens à la recherche d'une réponse. Sa main se resserre sur la mienne, et un sursaut de douleur m'échappe.
-Pardonne-moi, fait-il en lâchant ma main.
-C'est tout ?
-C'est non.
-Non !? Répétais-je. Tu ne veux même pas savoir si je pourrais ou non le faire, tu me dis non directement ?
Jakylla conserve le silence, et je me dis que son refus est là pour me protéger. Il ne veut pas me perdre. Il ne veut pas que je parte me battre. Cette pensée me rassure, quelqu'un tient à moi, et même si je ne sais pas jusqu'à quel point, ni de quelle façon, tout ceci m'aide à me sentir vivante. J'existe, grâce à lui.
-Tu ne servirais à rien, tu nous gênerais sans doute, finit-il par lâcher.
Un poids énorme s'abat sur mes épaules, et mon corps entier se raidit. Je sens mes os se broyer sous une masse invisible. Une douleur, immuable, me transperce le cœur. Je suis inutile. Je ne suis rien.
Je voudrais bouger mais mon corps ne me répond plus. Je ferme les yeux, souhaitant du plus profond de mon âme que cela puisse suffire à me faire disparaître. Je ne veux plus être ici.
-Yuuko ? Soupire-t-il.
Je l'ignore. Comment ose-t-il me parler ? Je le déteste. J'aimerais pouvoir le détester.
Sa main frôle ma joue, et je la repousse de la mienne. Je détourne le regard, honteuse d'avoir cru que j'étais importante pour quelqu'un dans cet absurde monde.
-Ne me touche pas, articulais-je.
-Yuuko …
-Laisse-moi, j'ai envie de dormir, laisse-moi je te dis. Vas-t-en !
-Rentre, au moins. Retourne à la maison.
-Ce n'est pas ma maison, dis-je froidement, tournant un regard dur vers lui.
Jakylla ouvre grand les yeux, comme s'il avait, à l'instant, pris la mesure de ses paroles. Je ne peux plus supporter ce regard, si chaleureux, et tellement triste.
Je me redresse, et je réalise soudain à quel point il fait froid. Mes pieds se posent sur le sol, et je me lève si rapidement que la tête me tourne. Je fais un pas, maladroit, puis un deuxième, plus assuré.
Jakylla agrippe mon bras, me forçant à rester sur place un instant. Il ne bouge pas, il se contente de maintenir sa prise, attendant certainement que je me retourne. Ce que je finis par faire, agacée.
-Tu vas me lâcher ! Je...
Son bras m'attire à lui au moment ou je me retourne. Si fort que je n'ai pas la possibilité de luter. Colère mise à part, je n'en ai d'ailleurs pas très envie.
-Pardon, murmure-t-il dans mon cou.
Son étreinte est si forte que j'ai du mal à respirer. Je pris une pose pour réaliser qu'il était vraiment plus grand que moi à présent. Il devait au moins me dépasser d'une ou deux têtes, je me ressaisie enfin, à quoi je pense moi?
-Je ne t'en veux pas, Je mentais un peu, mais je ne voulais pas qu'il se sente coupable, je n'aimais pas cette expression de tristesse sur son visage.
-Vraiment ?
-Vraiment.
Je fermais les yeux peu à peu submergée par la fatigue. Je sentis Jakylla me porter pour me ramener chez moi, enfin, je pense. je m'agrippe fermement à lui pour ne pas tomber, ce qui fit naître l'esquisse d'un sourire sur le visage du jeune homme.
-Tu es vraiment impossible, Yuuko, chuchota-t-il.
Je fit mine de ne pas avoir entendue cette phrase et m'endormis pour de bon.
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Savourez ce chapitre 5! J'ai vraiment eu du mal pour l'écrire ! :3
Bonne lecture! o/