Deux mois ont passé depuis que j'ai ouvert les yeux dans cet étrange endroit.
J'inspire. Mes doigts se referment sur une branche à quelques centimètres au dessus de ma tête. J'assure ma prise, me stabilise, et je me hisse avec plus de facilité que ce à quoi je m'attendais. J'arrive enfin au sommet, cette dernière branche est tellement grosse qu'il me semble pendant une seconde que c'est le tronc d'un arbre différent qui a eu l'idée de pousser ici.
Je m'assieds et je laisse pendre mes pieds dans le vide. Mon dos se pose contre l'écorce fraîche et rassurante de ce géant de la nature. Tout est calme, ici. Et le monde qui m'entoure me paraît soudainement plus familier que jamais.
A cette hauteur je peux apercevoir le village en contrebas, et des dizaines de silhouettes rendues floues par la distance. Elles font des allées et venues à travers les rues de manière absente et précipitée. C'est aujourd'hui que la population de Chrysäe décidera ou non de prendre part à la guerre qui ravage le pays.
Je détourne le regard et me concentre sur cette immensité baignée de vert et de nuances de rouge. Ce ne sera bientôt plus qu'un labyrinthe de bois au sol jonché de feuilles mortes. J'essaye de m'imaginer ce qui se cache au delà, peut-être y a-t-il quelqu'un qui m'attend là-bas ? Peut-être sait-on qui je suis, ou au moins qui j'étais ?
Mes pensées vont et viennent, s'emmêlent et se perdent dans un océan d'incertitude. L'angoisse me gagne et mes yeux, humides, se ferment. Et je me laisse aller.
***
Un vent froid caresse mon visage et joue avec mes cheveux. Le tronc de l'arbre craque et se plaint, et le reste de la forêt semble lui répondre. C'est un spectacle à la fois magnifique et effrayant. La nature est-elle douée de parole ?
Une branche se brise dans les sous-bois et j'entends le bruit de feuilles mortes que l'on piétine sans ménagement. Je me concentre pour trouver d'où provient ce bruit quand une voix me parvient.
-C'est donc ici que tu te cachais. J'ignorais que tu savais grimper aux arbres.
-Je l'ignorais aussi. Je suis bien ici, loin de l'agitation, dis-je en ouvrant les yeux.
Je soupire. La nuit est déjà tombée et je sais qu'il serait plus judicieux de rentrer si je ne veux pas attraper froid. Jakylla ne répond pas, il se contente de m'observer comme il le fait depuis le début. Simplement.
-Désolée, soufflé-je. Je ne voulais pas te faire de la peine.
-T'ennuie pas pour ça, c'est déjà oublié. J'aimerais partir moi aussi. Tu vois quoi, de là-haut ?
J'ignore sa phrase, et je sais que ça l'arrange. Il rigole doucement, et son rire se répand en moi, laissant derrière lui une sensation de bonheur, de douce euphorie.
-Yuuko ? Apelle-t-il.
Pourquoi ai-je l'impression qu'il s'adresse a une inconnue alors que ses mots me sont destinés ? Je le regarde et m'efforce de lui répondre.
-J'arrive dans quelques minutes, tu veux bien partir devant ? Demandé-je.
Il me fait oui de la tête avant de s'éloigner. Je le suis des yeux jusqu'à ce que l'obscurité l'enveloppe entièrement. Je me mords la lèvre, respire un grand coup. Je n'ai pas osé lui avouer que je ne savais pas comment descendre de cet arbre.
***
J'attache mes cheveux maladroitement avec le ruban que m'avait offert Jakylla il y a quelques jours, le tissus est doux, il paraît chaud emprisonné ainsi dans ma main glacée, et son contact m'apaise. Je me retourne et je m'agrippe au tronc, puis je cherche à tâtons à retrouver les branches grâce auxquelles j'ai pu me hisser jusqu'en haut. Une fois que j'ai trouvé la première, tout me paraît plus simple, comme si j'avais déjà fait ceci des dizaines de fois auparavant.
Je renouvelle le mouvement encore une dizaine de fois, mes mains agrippent des branches, trop fort sans doute à en croire la douleur, et mes pieds cherchent de manière maladroite à se camper solidement sur les branches suivantes.
Je ne suis plus qu'à quelques mètres du sol, lorsque mon pied se pose sur une branche bien trop fine pour soutenir mon poids. Je n'ai pas le temps de resserrer ma prise plus haut, et lorsqu'elle se fend, j’entame alors une descente bien trop rapide à mon goût. Je m'écorche les mains en essayant de me rattraper, et mes doigts se referment enfin sur une branche, trop épaisse pour que je puisse l'enserrer entièrement. Je glisse mais je tiens bon, jusqu'à ce que, sous mon poids, mon bras se tende, faisant remonter une douleur aiguë jusque dans mon épaule. Je lâche.
J’atterris sur le sol dans un bruit sourd, et les feuilles qui se sont envolées sur mon passage me rejoignent en virevoltant. Je grogne, agacée par tant de maladresse, et je me lève en me frottant les genoux. Ce dernier mouvement m'arrache un léger cri de douleur, j'ai l'épaule en feu.
Mes bras sont couverts de griffures, mon t-shirt est déchiré et je suis à présent toute sale. Bien joué, me dis-je à moi-même.
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